Café avec les devs : Le rôle du rôle
Petite discussion des développeur paru avant le week-end. Greg «Ghostcrawler» Street, le responsable de la conception des systèmes de World of Warcraft, nous parle du rôle des différentes spécialisations à l'approche de Mists of Pandaria. Bonne lecture!
Le Déluge
La mousson sera bientôt là. Dans très peu de temps, vous serez inondés sous un déluge d’informations à propos de Mists of Pandaria, en commençant par un évènement imminent à l’attention des médias et tout ce qui s’en suit. Nous entrons dans une période enthousiasmante pour World of Warcraft et nous sommes tous très impatients que tout ceci se mette en place.
Cependant, l’heure n’est pas encore tout-à-fait arrivée. Je tiens à le préciser sans équivoque avant de commencer, puisque cet article n’est pas directement lié à Mists of Pandaria. Vous n’y trouverez aucune annonce, mais plutôt une discussion philosophique qui intéressera certains d’entre vous, et d’autres pas. Si vous êtes uniquement à la recherche de révélations exclusives, vous connaissez ma réponse : bientôt…
Les multiples rôles des DPS
Si j’ai précisé que cet article n’était pas directement lié à Mists of Pandaria, c’est parce que je souhaite discuter d’un sujet qui nous a donné du fil à retordre au cours du développement de MoP, voire tout au long du développement de World of Warcraft. Nous avons des classes qui disposent de multiples spécialisations de DPS, et dans le cas des mages, des démonistes, des chasseurs, des voleurs, des guerriers et des chevaliers de la mort, il n’y a même pas de choix entre mêlée ou combat à distance. Une question revient tout le temps : « quel est le rôle de ces rôles ? » Je ne crois pas qu’il existe une réponse unique à cette question et nous avons nous-mêmes modifié leur conception plusieurs fois au cours de ces dernières années. Encore une fois, je ne suis pas en train d’essayer d’annoncer quoi que ce soit d’imminent. Il s’agit ici de concepts fondamentaux qui peuvent potentiellement évoluer dans des directions très diverses. C’est un sujet sur lequel nous débattons souvent en interne et, au vu des opinions tranchées qui ressortent dans les discussions sur les forums, ce débat semble faire rage au sein de la communauté également.
Un paladin a le choix parmi trois spécialisations qui lui permettront de tenir le rôle de tank, de DPS en mêlée ou encore de soigneur, et d’une semaine sur l’autre, il peut choisir de remplir le rôle qu’il veut suivant qu’il participe à des raids ou à des champs de bataille. Grâce à la double spécialisation, il peut même changer de rôle au cours d’une même soirée. Si son groupe n’a pas besoin d’un soigneur de plus, ou s’il préfère prendre un peu de recul par rapport à sa spécialisation tank, il peut passer à sa spécialisation DPS assez facilement, sans avoir à changer de personnage. Un démoniste ne peut pas s’offrir ce luxe. Et pourtant, les démonistes disposent également de trois spécialisations. Est-ce que l’idée, c’est de pouvoir passer de la spécialisation destruction à la spécialisation démonologie et inversement selon la situation qui se présente ? Est-ce que l’idée, c’est que vous jouiez affliction si vous aimez infliger des dégâts sur la durée et que vous jouiez destruction si vous préférez envoyer du lourd ? Ou bien tout simplement, est-ce que vous passez à la spécialisation qui vous permet d’infliger en théorie 1% de dégâts en plus par rapport aux deux autres selon les boss que vous rencontrez ?
Il arrive que les joueurs lancent de manière un peu trop cavalière des accusations du type « vous ne savez pas où vous allez » quand ils veulent que nous rendions leur personnage plus puissant. Bien entendu, les classes suivent toutes, sans exception, une direction conceptuelle précise, mais les joueurs ne sont pas toujours d’accord avec elle. En d’autres termes, ce n’est pas parce que l’on s’inquiète de savoir si la conception choisie est la meilleure possible que nous n’en appliquons aucune. La nuance a toute son importance. Et bien sûr, nous savons très bien quelle classe de DPS vous devriez jouer : tout simplement celle qui vous plaît le plus. Mais ceci ne signifie pas qu’il s’agit du meilleur modèle possible, ni que les choses ne changeront plus jamais. Il y a d’autres modèles que nous pourrions expérimenter.
Modèle n°1 – Tout le monde est logé à la même enseigne en toutes circonstances
Si votre DPS et vos avantages de classes étaient similaires quelle que soit votre spécialisation, vous choisiriez toujours celle que vous préférez. Peut-être que vous aimez le style des mages givres ou que vous appréciez le cycle des guerriers fureur, donc vous jouez ces spécialisations. Comme je l’ai dit plus haut, c’est le modèle que nous avons suivi depuis pas mal de temps maintenant, avec un succès mitigé. La vraie difficulté, c’est de gérer la précision « en toutes circonstances ». Il est possible de paramétrer toutes les classes afin qu’elles réalisent des performances quasi-similaires sur des mannequins d’entraînement, et c’est relativement le cas à l’heure actuelle. Sauf que les rencontres que nous créons ne sont pas de simples mannequins d’entraînement. Adjoindre quelques renforts à un boss permet d’augmenter le DPS infligé par les classes spécialisées dans les sorts de dégâts sur la durée. Adjoindre beaucoup de renforts à un boss augmente les dégâts infligés pas les spécialisations disposant de sorts de zone puissants. Obliger les joueurs à se déplacer pendant un combat, plus ou moins souvent et plus ou moins longtemps, peut diminuer ou augmenter le DPS infligé selon les cas. Même si leur DPS n’est diminué que d’un faible pourcentage, beaucoup de joueurs préfèrent adopter la spécialisation qui permet de fournir le DPS le plus élevé (même si ceci n’est que théorique et que, dans leur cas précis, ils n’infligeront pas autant de dégâts que s’ils avaient conservé la spécialisation qu’ils connaissent le mieux). Un mage qui adore jouer en spécialisation feu pourra se sentir frustré s’il doit passer à la spécialisation arcane, alors qu’un autre appréciera d’alterner ses spécialisations selon les rencontres.
L’empilement des classes dont nous avons été témoins dans le cas de la rencontre sur l’échine d’Aile de mort est dû au fait que le combat nécessite d’infliger énormément de dégâts dans une fenêtre de temps très réduite, de telle façon que la différence entre une technique spéciale avec un temps de recharge d’une minute et une autre avec un temps de recharge de deux minutes entrait en ligne de compte. Même si nous avions la capacité de nous assurer que chaque spécialisation puisse infliger des montants de dégâts similaires, tant en DPS de zone qu’en DPS sur cible unique, est-ce que nous devrions aussi nous assurer que toutes les classes puissent fournir le même DPS quand la rencontre exige d’infliger de lourds dégâts dans une fenêtre de temps réduite, et ce sur des durées diverses ? Est-ce que mathématiquement, ce serait possible, déjà ? Ou alors est-ce que nous devrions tester chaque spécialisation pour chaque rencontre de raid du palier de contenu actuel et bidouiller les mécanismes de classes dans tous les coins pour qu’on reste dans le statu quo habituel ? Cela impliquerait un rythme de modification élevé et je me demande si nous ne perdrions pas un peu de l’amusement procuré par l’expérimentation et les calculs de dingues par lesquels il faut passer si, en somme, il était accepté que vous puissiez choisir n’importe quelle spécialisation pour n’importe quelle rencontre et infliger à peu près le même total de dégâts. Certes, ce serait plus équilibré, mais est-ce que nous n’y perdrions pas de la profondeur ou du charme ? Est-ce que ce serait aussi amusant ?
Modèle n°2 – Tout le monde a des spécificités et votre spécialisation doit correspondre à la situation
Selon ce modèle, nous aurions des spécificités de spécialisations. Par exemple, la spécialisation Arcane serait idéale pour les combats contre des cibles uniques alors que la spécialisation Feu serait adaptée aux combats qui nécessitent beaucoup de dégâts de zone. Une partie de ce concept existe déjà en jeu, seulement, nous essayons de ne pas trop l’employer. Si vous aimez réellement jouer une spécialisation de mage en particulier, ou que vous détestez changer constamment de spécialisation, alors ce modèle ne vous plaira guère. En outre, nous voulons éviter de compliquer encore la conception des boss en ajoutant l’obligation d’avoir un quota de combats qui requièrent des dégâts de zone par rapport aux combats contre des cibles uniques, ou un quota de combats qui requièrent beaucoup de mouvements par rapport à des combats stationnaires, ou un quota de combats comprenant des phases de dégâts importants pendant une fenêtre temporelle réduite par rapport à des combats sur la longueur, etc. De plus, il est difficile de concevoir ce genre de situations dans les arènes ou les champs de bataille (par exemple, l’idéal en JcJ, c’est de pouvoir se déplacer tout en infligeant un maximum de dégâts en un minimum de temps), c’est pourquoi, dans ce genre de scénario, il arrive qu’il n’y ait qu’une seule spécialisation acceptable.
Modèle n°3 – Vous devez passer d’une spécialisation à une autre pour bénéficier de sorts utiles spécifiques
Si nous choisissions de suivre ce modèle, vous seriez dans l’obligation de passer d’une spécialisation à une autre pour bénéficier de sorts spécifiques. Encore une fois, une partie de ce modèle se retrouve dans la version actuelle du jeu. Il est possible qu’un chevalier de la mort préfère bénéficier de Zone anti-magie dans la branche Impie pour affronter un boss particulier. Les chasseurs peuvent passer à la spécialisation Maîtrise des bêtes s’il manque une amélioration précise à leur raid. Les mages peuvent passer en spécialisation Feu pour les combats où Combustion fait des miracles. Les druides peuvent passer à la spécialisation Équilibre lorsqu’ils ont besoin de repousser des ennemis au loin avec Typhon. Mais cela peut rapidement avoir des implications complexes. Comme dans le modèle n°1, tous les joueurs n’aiment pas l’idée de devoir passer d’une spécialisation à l’autre. Si vous aimez jouer la spécialisation Survie, ça peut vous contrarier d’être obligé de passer à la spécialisation Maîtrise des bêtes simplement pour faire bénéficier quelqu’un d’une amélioration. Si les techniques qui permettent de repousser les ennemis sont trop puissantes, cela limite la diversité des compositions de raid et cela donne l’impression aux guildes qui ne jouent pas aussi souvent que les autres qu’elles doivent entretenir une écurie complète de personnages secondaires ou de joueurs qui jouent une spécialisation alternative pour chaque combat. Par exemple, s’il n’y avait aucun boss du raid actuel contre lequel les techniques des guerriers soient particulièrement efficaces, les guerriers commenceraient à se demander s’ils ne sont pas la cinquième roue du carrosse, et pourtant, faire en sorte que chaque boss soit l’occasion pour chaque spécialisation de briller est une tâche phénoménale. Le cas extrême de cette situation serait une spécialisation de « soutien » qui ne ferait pas de dégâts incroyables sur un combat particulier, mais qui apporterait beaucoup de synergie au groupe et serait très utile pour augmenter les capacités de tous les autres personnages. C’était le modèle employé pour Burning Crusade, où les classes comme le chaman ou le prêtre Ombre étaient choisies en raid uniquement pour que les classes non-hybrides (ainsi que les guerriers, qui étaient traités comme des classes non-hybrides à l’époque, pour on ne sait quelle raison) puissent profiter d’un gain de DPS. À partir de Lich King, nous avons modifié ce concept pour démocratiser différents sorts utiles et améliorations de raid et pour donner plus de flexibilité aux groupes dans leur composition de raids (et de donjons, dans une certaine mesure). Nous avons entendu de la bouche de prêtres Ombre qu’ils souhaitaient infliger des dégâts à la hauteur des autres classes de DPS, et pas uniquement faire acte de présence pour que tout le monde ait l’air encore plus fort. Mais même aujourd’hui, nous recevons beaucoup de requêtes nous demandant d’améliorer le côté utile de certaines spécialisations afin que les joueurs soient moins réticents à les inviter dans leur groupe.
Modèle n°4 – Il y a des spécialisations optimales pour le JcJ et pour le JcE
C’était le modèle employé au lancement de World of Warcraft jusqu’à sa première extension et il semblerait que certains ne verraient aucun inconvénient à le voir revenir. Dans ce modèle, les spécialisations comme Armes, Givre, Finesse et d’autres étaient conçues pour être efficaces en JcJ, alors que Fureur, Feu et Combat, par exemple, étaient conçues pour être efficaces en JcE. Les spécialisations JcJ offrent de meilleures capacités de mobilité ou de survie ou permettent d’infliger de plus lourds dégâts dans une fenêtre de temps restreinte, alors que les spécialisations JcE peuvent infliger des dégâts sur la longueur, utiles pour affronter des boss pendant 6 à 10 minutes. Mais beaucoup de choses ont changé depuis la sortie du jeu. Il est très rare que nous concevions des combats où les spécialisations DPS n’ont rien d’autre à faire que rester plantés à infliger des dégâts sur le boss. Les capacités à se déplacer, à survivre et à infliger de lourds dégâts en très peu de temps se montrent toutes très utiles lors de certaines rencontres, prenant parfois le pas sur le fait d’infliger beaucoup de dégâts (il y a un vieil adage qui dit qu’un DPS en vie fait plus de dégâts qu’un DPS mort). En outre, si une des trois spécialisations est faite pour le JcJ et une autre pour le JcE, cela signifie que la troisième n’a pas un rôle très défini dans le cas des classes non-hybrides : une spécialisation pour la montée de niveaux ? Est-ce que cela serait vraiment amusant ? De plus, la refonte des arbres de talents que nous avons effectuée pour Mists retire de façon explicite certains sorts utilitaires réservés à la spécialisation traditionnellement JcJ d’une classe donnée et les rend disponibles pour toutes les spécialisations de cette même classe. Si ce système fonctionne, vous pourrez emmener votre mage Givre en raid ou faire du JcJ avec votre mage Arcane en bénéficiant des outils traditionnels de la branche Givre, comme les capacités supérieures de contrôle des foules ou de survie. C’est chouette si vous faites du JcJ et que vous adorez la branche Arcane, ou si vous faites du JcE et que vous adorez la branche Givre. C’est moins sympa si vous étiez le genre de joueurs qui acceptait complètement le modèle plus simple (et sans doute moins délicat à équilibrer) qui mettait à disposition des joueurs une branche dédiée au JcJ et une au JcE.
Modèle n°5 – Ne plus avoir plusieurs rôles de DPS
Il s’agit ici du modèle qui porte le plus à controverse et qui nécessiterait le plus de modifications, ce qui signifie qu’il est très peu probable que nous l’adoptions. Mais par soucis d’exhaustivité, nous pourrions dire que les classes n’auraient jamais dû proposer plusieurs spécialisations pour remplir un même rôle. Dans ce modèle, une des deux branches Armes ou Fureur disparaîtrait pour laisser sa place à une nouvelle spécialisation (Archerie ? Soins ?). Les démonistes ainsi que les autres classes de non-hybrides nécessiteraient une refonte massive pour arriver, par exemple, à des démonistes capables de combattre en mêlée et d’autres capables de tenir le rôle de tank. Toutes les classes deviendraient hybrides. La décision la plus difficile à prendre serait : « est-ce que je préfère faire du DPS à distance ou en mêlée ?» (comme les druides ou les chamans). Cette idée est élégante dans sa conception, d’une certaine façon, car elle permet de ne plus se poser d’autres questions, comme « combien de DPS les classes non-hybrides doivent-elles être capable de fournir par rapport aux classes hybrides pour justifier leur utilité moins étendue ? ». Mais peut-être que, aussi surprenant que cela peut paraître, les concepts les plus élégants ne sont pas forcément les plus convaincants (je pourrais écrire un blog entier sur ce seul sujet). Le modèle n°5 est le genre de questions rhétoriques que vous auriez pu poser avant le lancement de World of Warcraft, mais pas le genre de choses que nous pourrions changer aujourd’hui sans que cela ne requière un travail incroyable, sans parler des joueurs furieux qui auraient l’impression qu’on les mène en bateau parce que leur personnage change du tout au tout sans qu’ils n’aient rien à dire. J’essaye de ne jamais dire « jamais », mais ce genre de modèle fait partie de la catégorie des changements auxquels on évite de procéder pour un jeu sorti il y a déjà plusieurs années. Il figure dans ce blog uniquement pour des questions d’exhaustivité, et aussi parce que je me doute bien que certains d’entre vous n’auraient pas manqué de l’évoquer.
Alors, quel est le modèle idéal ?
Ça, j’aimerais bien le savoir ! Je pense qu’aucun de ces modèles ne peut être déclaré comme étant incontestablement le bon. Tous ont leurs avantages et leurs inconvénients, et il existe probablement d’autres modèles auxquels vous pourriez penser, probablement des variantes des cinq que nous venons d’énoncer, voire peut-être un modèle complètement nouveau. Comme je l’ai dit, l’heure n’est pas venue d’annoncer un changement de philosophie. Si nous recevons de très nombreux commentaires sur un modèle ou un autre, il est même possible que cela nous fasse revoir nos positions. Nous allons donc bloquer les commentaires pour ce blog et vous demander de publier vos réflexions sur ce fil de discussion du forum. Gardez à l’esprit que nous ne pensons pas qu’il existe une réponse idéale, donc formulez vos réflexions en conséquence.
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